15 février 2017

Loving

Devinette : qu'est-ce qui est long, plat, lourd et qui a flingué ma soirée ? Réponse : Loving, de Jeff Nichols. Après le très décevant Midnight Special, excursion ratée dans la science-fiction intimiste, le cinéaste jadis si prometteur se compromet une nouvelle fois avec ce mélodrame au moins aussi creux que sa tagline française "L'amour plus fort que la haine". En parlant de tagline, il semblerait que Jeff Nichols se soit mis pour but de donner raison à cette citation facile qui faisait de lui "le nouveau Spielberg" et qui traversait l'affiche de son précédent film. Suite à Midnight Special, croisement bâtard entre Rencontre du 3ème type et Starman, Jeffrey Nichols signe ainsi son mélodrame historique, engagé pour la cause noire, tel un La Couleur Peuprou 2.0, dont on se serait volontiers passé... 




Comment le réalisateur croit-il que l'on pourra se passionner pour cette histoire telle qu'il choisit de nous la raconter ? Dans les années 50, les époux Loving sont exclus de leur état, la Virginie, où le mariage "interracial" est interdit par la loi. Quelques années plus tard et suite à une bataille judiciaire pendant la montée des droits civiques aux États-Unis, l'amour des Loving rendra inconstitutionnelles les lois interdisant les mariages "interraciaux". Le film de Nichols est la plate retranscription visuelle de ces quelques lignes qui pourraient être copiées de l'article wikipédia consacré aux Loving. Mais attention, ne croyez pas que Jeff Nichols a perdu tout ce qui faisait sa particularité. Loving n'est jamais désagréable pour les yeux, bien au contraire, le cinéaste conserve un style agréable et ne propose que de bien belles images à la lumière et au cadre très soignés. C'est là tout le bien que je dirai de son nouveau bébé.




En revanche, depuis deux films maintenant, il semblerait que Jeff Nichols ne sache plus du tout comment nous captiver, comment faire vivre ses personnages et donner du souffle à son scénario. Quand Loving commence, le couple est déjà formé. A l'exception d'une petite scène assez jolie où Richard Loving (Joel Edgerton) amène sa dulcinée (Ruth Negga) dans un champ pour lui dire, grosso mierdo, "Tu kiffes ce bout de terre ? Bah je viens de l'acheter pour quelques sous... J'y construirai notre maison. Tiens là, tu te tiens pile poil dans la cheminée", eh bien à part cette courte scène et cette tirade mignonnette, jamais nous ne sommes un tantinet touchés par l'amour qui lie les deux personnages. Celui-ci devrait exister très fort à l'écran pour que nous puissions ensuite être atteints par l'injustice cruelle qui frappe le couple, mais ça n'est jamais le cas. Et nous regardons les jolies images défiler à l'écran en se sentant très peu concerné, en luttant contre le sommeil et en attendant désespérément que quelque chose se passe, que le film prenne son envol. Ce qui n'arrive évidemment jamais. Même la partie davantage consacrée aux démarches judiciaires qui permettront au couple de retourner en Virginie est terriblement peu captivante. On est très loin de l'efficacité de certains films américains en la matière...




Face à un si morne spectacle, on se demande presque ce qui fait tant souffrir nos deux personnages, simplement condamnés à ne plus remettre les pieds dans leur état natal. Loving est si pauvre qu'il ne parvient même pas à nous mettre en rage contre cette injustice, qui apparaît comme bien peu de chose. On finit quasiment par prendre en grippe les Loving. Il faut dire que les acteurs ne nous aident pas beaucoup... Je doutais de la capacité de Joel Edgerton, d'ordinaire condamné aux seconds rôles, à porter un film sur ses épaules. Jeff Nichols m'a donné raison en confirmant mes doutes. Edgerton est insupportable là-dedans. On a envie de le secouer. Parce qu'il joue un type un peu rustre et taiseux du Sud, il passe tout son temps les bras ballants, la tête basse, la mine mauvaise, le dos courbé et le pas lourd, comme s'il portait toute la misère du monde sur les épaules. Sa compagne Ruth Negga s'en tire un peu mieux bien qu'elle soit parfois assez difficile à encaisser. L'actrice donnait plus de consistance à son personnage dans le méconnu Isolation, film d'horreur irlandais dans lequel elle incarnait une jeune vagabonde attaquée par un veau mutant... Son jeu est ici trop prévisible. Quand elle répond au téléphone, qu'elle entend à l'autre bout de la ligne "Mme Loving ? J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer", qu'elle s'accroche alors au mur en tirant une tronche pas possible, la bouche grande ouverte, la main sur la poitrine, les yeux exorbités, on a simplement envie que son interlocuteur enchaîne en disant "Non, je suis désolé, la bonne nouvelle, c'est pour ma pomme : je ne veux plus avoir affaire à vous, vous m'exaspérez, je vous devine, là, avec l'air grave, jouant si mal, et ça me suffit, j'ai eu ma dose. Adios !". 




Autre constat bien triste : Jeff Nichols livre un film sans vie et d'une monotonie affligeante. Le temps passe, l'histoire se déroule sur près de dix ans, le couple met au monde trois enfants (deux garçons, Donald et Romuald, et une fille, Gérald - autant de gamins dont on se fout éperdument), les années défilent, mais rien ne se passe, rien ne change. Des moments de joie pourraient ponctuer le film et nous permettre d'apprécier les Loving, d'éprouver des choses avec eux, de vivre à leurs côtés... Que nenni. On ne les voit ainsi jamais faire l'amour. Ça paraît bête à dire, mais pour un couple que nous ne voyons guère non plus se former, c'est encore plus difficile de croire en leur passion. Les Loving apparaissent comme une simple anecdote historique, trop platement mise en image. Film de Jeff Nichols oblige, Michael Shannon vient faire son petit numéro dans la peau du photographe du magazine Life dépêché pour immortaliser le couple vedette et sa bataille judiciaire. Comme il incarne un photographe, l'acteur porte en permanence son lourd appareil autour du cou. Cela le gêne beaucoup lors d'une scène de repas pénible où l'objectif traîne dans l'assiette. Le film est à l'image de cet appareil, de ce photographe et de l'image qu'il saisit : lourd, maladroit, d'un autre âge. La célèbre photographie de Life où le couple rigole, dans la position dite de la cuillère sur le canapé, devant la télé, dont nous voyons ici l'envers, recèle d'ailleurs plus de vie que l'intégralité du film de Jeff Nichols.




Jeff Nichols fait également preuve d'une maladresse qui nage à contre-courant de son propos. Il s'agit simplement de quelques dialogues mal écrits, de mots très mal choisis, et de personnages traités par-dessus la jambe, en l’occurrence les gamins Loving. Je fais ici allusion à cette scène durant laquelle Mme Loving regarde ses trois mômes s'amuser dangereusement dans les escaliers sa petite maison et déclare, dépitée, "Ils ne sont pas faits pour vivre ici, ils devraient jouer dans les champs", comme si elle parlait d'animaux trop malheureux d'être en cage... Une autre scène nous montre les trois marmots s'amuser dans la rue (ils sont intenables !), l'un des gamins traverse la rue pour récupérer un ballon et finit sur le capot d'une bagnole. Le conducteur n'est aucunement fautif, ce sont les enfants qui nous sont montrés comme étant inaptes à la vie citadine, trop sauvages pour intégrer les règles les plus basiques de sécurité (à savoir : mater à droite à gauche avant de traverser). Bref, c'est naze. En plus de se contrefoutre de ces trois petits dont les naissances ne sont guère filmées et auxquels Jeff Nichols ne s'intéresse jamais, on finit par les mépriser un peu. 




La musique est au diapason. Les violons sont de sortie. C'est lourd, lourd, lourd. Comme ces plans répétés sur les murs que construit Richard Loving, maçon de son état. Ses images de briques et de pelles transportant du béton qui jalonnent le film semblent là pour nous rappeler que ce sont les petites gens, les Loving et compagnie, qui participent, de par leurs luttes quotidiennes, à la construction d'une nation. C'est beau, c'est fin, c'est signé Jeff Nichols, cinéaste à l'inspiration en voie d'extinction... 


Loving de Jeff Nichols avec Joel Edgerton et Ruth Negga (2017)

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